College Boboto, Lycée Bosangani, Athénée de la Gombe

L’enseignement public au Kongo: de sa création en 1946 à l’indépendance en 1960
Il faut faire la distinction entre les établissements pour les enfants des colons et ceux que fréquentaient les enfants Kongolais, généralement tenus et organisés par des missionnaires catholiques ou protestants. Ce n’est que dans la dernière décennie de l’ère coloniale que des enfants Kongolais, sélectionnés, furent admis dans les écoles des enfants européens. 
La question de la «déségrégation scolaire» avait été envisagée par le ministre des colonies Auguste Buisseret en 1957.

L’enseignement pour les enfants blancs et métis :

À la sortie de la seconde guerre mondiale, quelle est la situation dans la colonie de l’enseignement public neutre pour les enfants des colons européens ? 

La réponse est simple et rapide. Il n’y a pas sur la totalité du territoire, d’école officielle pour accueillir les enfants des colons européens. 
Le Conseil général de la Ligue s’était déjà inquiété de cette situation en 1937 et avait créé une commission chargée de proposer des créations d’établissements pour Blancs et Kongolais indépendants des missions. 
Dans un rapport présenté en 1938 lors de la «Journée des Amis de l’enseignement public» organisée par la Ligue de l’enseignement, le sénateur Léo Mundeleer avait dressé un bilan détaillé du nombre et des types d’écoles fonctionnant au Kongo et au Ruanda-Urundi

Il distinguait trois espèces d’établissements: ceux qui avaient le titre d’écoles officielles et qui étaient «affermés par contrats aux congrégations religieuses catholiques», les écoles des missions catholiques dont il dénonçait le prosélytisme et qui étaient subsidiées par l’État[3] et celles des missions protestantes qui, objets d’un «véritable ostracisme» de la part du gouvernement belge, ne recevaient aucun subside ; en outre, les diplômes décernés par ces écoles des missions protestantes n’étaient pas reconnus par l’Administration coloniale. 


Il existait un troisième type d’écoles, celles, peu nombreuses que des Sociétés comme l’Union minière ou des entreprises avaient créées pour des raisons économiques et qui n’étaient pas subsidiées. Il faut signaler aussi que les écoles normales, qui formaient des instituteurs Noirs, étaient également confié aux missions catholiques. 

En fait, tout l’enseignement, concluait le sénateur Mundeleer «est religieux, soit catholique, soit protestant».
La guerre n’allait évidemment rien arranger. 

En 1945, à tous les niveaux d’enseignement, primaire et secondaire, les établissements officiels pour élèves blancs et métis, étaient toujours desservis par des congrégations religieuses. 
Les élèves qui le souhaitaient pouvaient toutefois être dispensés du cours de religion. Cette situation pouvait d’ailleurs poser des problèmes. 

Ainsi, certains pères jésuites ne cachaient pas que cette dispense imposait certaines entraves empêchant de «donner un enseignement en conformité entière avec leurs idées». Face à cette situation, les défenseurs de l’enseignement officiel neutre, appuyés par la Ligue de l’enseignement, fondèrent à Costermansville (Bukavu) une «Association pour l’enseignement laïc au Kongo belge» qui avait comme objectif, selon l’article 3 des statuts, de «susciter la création et le développement de l’enseignement officiel au Kongo belge». 

Le 31 mai 1945, lors de l’assemblée constitutive, le président, le Dr. L. Hoebeke, regrettait que la Belgique n’eût pas pris en mains l’enseignement donné aux congolais et aux résidents européens comme c’était son devoir de le faire mais qu’elle se fût «déchargée de ce soin, capital pourtant, sur les Missions religieuses». Sans nier l’action éducatrice de celles-ci, l’orateur poursuivait «Il est défendable d’accepter le concours des missionnaires catholiques, des missionnaires protestants dans ce domaine. 

Autre chose est cependant de n’accepter qu’eux; de confier tout l’enseignement aux blancs comme aux noirs aux Missions et de le faire pratiquement à l’exclusion de tous autres éducateurs. Autre chose est de donner, en fait le monopole de l’enseignement aux Missions».
Pour le ministre A. Buisseret, l’enseignement des Noirs, garçons
et filles, devait être inspiré par la Charte des Droits de l’Homme
et devait être fondé sur le respect des valeurs humaines.


Le message fut entendu. L’arrivée au Ministère des Colonies du libéral Robert Godding en juillet 1945, membre de la Ligue, allait apporter une réponse positive à la demande de l’Association. 
Dans un discours prononcé au Sénat le 7 novembre 1945 (Annales parlementaires, p.891-892), le Ministre, tout en rappelant que la liberté du père de famille dont il était un défenseur, n’était pas respectée au Kongo comme elle l’était en Belgique[7] , annonçait la création de trois athénées pour les enfants blancs et métis avec sections gardiennes, primaires et internats, en trois endroits fort éloignés l’un de l’autre, (à Léopoldville, aujourd’hui Kinshasa, dans le Bas-Kongo, à Costermansville, dans le Kivu et à Elisabethville, aujourd’hui Lubumbashi, au Katanga). 

Ces créations, outre qu’elles visaient à permettre le respect des convictions des familles et de la liberté de conscience, répondaient à un réel besoin étant donné l’accroissement de la population de souche européenne dans la Colonie. 
Immédiatement la Ligue décida de s’engager dans ce projet. Une Commission fut créée dans laquelle siégeaient principalement des anciens coloniaux. Il fallait trouver et aménager des locaux provisoires, envoyer du matériel didactique et, tâche délicate à laquelle s’attacha plus particulièrement la Ligue, il fallait recruter des enseignants compétents. 

Ceux-ci furent sélectionnés sur des listes présentées par le Ministre libéral de l’Instruction publique, Auguste Buisseret. On décida de choisir des professeurs diplômés d’établissements officiels, soit des universités, soit des écoles normales, ayant déjà une grande maturité professionnelle. 
Leur mandat qui était de trois années, pouvait être renouvelé. 
Après leur retour dans la métropole, les enseignants conservaient leurs droits à l’avancement. Le succès des établissements nouvellement créés fut indéniable. 


On s’en doute les catholiques n’apprécièrent guère l’initiative du Ministre Godding. Aussi, lorsqu’ils reprirent place au gouvernement le 27 mars 1947[9] , le nouveau ministre des Colonies, le catholique Pierre Wigny, tout en permettant de poursuivre le projet de créer des athénées dans la Colonie, adopte une politique visant à mettre un frein à son expansion. 

Les constructions des bâtiments scolaires, notamment celles des internats, qui jouaient un rôle primordial dans le développement de l’école publique, prirent du retard ou restèrent à l’état de projet. P. Wigny mit fin à l’accord conclu avec le Ministère de l’Instruction publique et s’empressa de nommer des professeurs fraîchement diplômés, issus majoritairement de l’enseignement libre. 

Une décision qui fit dire à Robert Godding au Sénat 
«On conserve la façade mais on dénature l’esprit. Si on laisse faire, il y aura au Kongo deux enseignements confessionnels. Je m’indigne de ce mépris de la volonté du Parlement et des pères de famille». 

La question du recrutement n’était pas le seul obstacle au bon fonctionnement des écoles officielles: les commandes de manuels scolaires accusant un retard important, on dut utiliser dans les athénées et les écoles primaires ceux de l’enseignement libre. 

En outre, les conditions de travail devinrent moins favorables; le Ministre Wigny imposa un nouveau statut en juillet 1947 qui diminuait les traitements des licenciés. La liberté syndicale était en outre refusée aux enseignants. 

L’Administration coloniale imposa l’obligation au personnel féminin de ne pas être marié, une règle de recrutement qui était en vigueur, à l’époque, dans l’enseignement confessionnel. 

Bref, c’était tout un climat de «guerre scolaire» qui se mit en place avec, c’était l’impression de ses défenseurs, la volonté de la part des instances catholiques de saboter le réseau officiel à peine né. 

Avec l’arrivée au pouvoir, en 1950, du gouvernement homogène catholique] dans lequel Albert Dequae succédait à P. Wigny au Ministère des Colonies, la situation se durcit encore. 
Les pouvoirs publics vont accorder des subsides de plus en plus élevés aux écoles congréganistes et par contre limiter ceux alloués à l’école officielle. La question de l’enseignement fut encore envenimée par le projet de signer, en 1953, un concordat avec le Saint-Siège qui devait renforcer la position de l’Église au Kongo. 

Ainsi peu à peu, la guerre scolaire, qui envenimait l’atmosphère politique dans la Métropole, concernait désormais, à partir des années 1950, également la colonie. L’apaisement ne surviendra, comme on sait, qu’avec la signature, en 1958, du Pacte scolaire et le vote l’année suivante, soit un an seulement avant l’indépendance, de ses lois d’application.
L'enseignement pour les congolais

Dans le rapport, déjà cité, présenté à la «Journée des Amis de l’enseignement public» organisée par la Ligue en 1938, Léon Mundeleer dénonçait l’emprise catholique et protestante sur l’enseignement dispensé aux élèves noirs. 

«En dehors de l’œuvre des missions, écrivait-il, il y a carence complète de la part du gouvernement au point de vue de l’enseignement». 

La qualité de l’enseignement dispensé n’était pas non plus à l’abri des critiques. C’était en réalité un enseignement rudimentaire, qui avait comme objectif de dispenser une instruction morale et civilisatrice plutôt qu’une véritable instruction émancipatrice.

Il s’imposait donc selon le sénateur Mundeleer de mettre fin au monopole des missions et de proposer aux enfants Kongolais un programme d’enseignement qui leur fût adapté et qui comprît surtout une orientation professionnelle doublée d’une formation élémentaire tenant compte «des conditions de vie, du degré de civilisation, des aptitudes à se développer [des élèves]». Le programme du sénateur libéral, soutenu par le parti socialiste, ne reçut guère d’échos. 

Après les années de guerre, la situation malgré l’appel de l’«Association pour l’enseignement laïc au Kongo belge» du 1er mai 1949 et celui de la Ligue de l’enseignement, n’avait guère évolué. 
Il fallut attendre l’arrivée en 1954, au Ministère des Colonies, du libéral Auguste Buisseret (1888-1965) pour qu’un changement se produise. Membre de la Ligue de l’enseignement, A. Buisseret, qui était d’origine liégeoise, était un défenseur des droits de l’homme et un démocrate convaincu. 
Son vécu périlleux fait d’engagements en témoigne. 

En 1918, il avait échappé au peloton d’exécution allemand; pendant l’entre deux guerres, il avait pris la défense en tant qu’avocat de militants victimes du régime nazi. En 1943, menacé de mort par l’occupant, il dut s’exiler à Londres. Il avait soutenu en 1946 la politique du libéral R. Godding

En 1947, il avait participé en tant que sénateur à une mission sénatoriale dans la colonie, qui avait comme objectif de faire le point sur les conditions économiques et sociales de la société congolaise. 
Chargé du rapport sur l’enseignement, il devait déplorer que l’école officielle pour les congolais fût inexistante, que l’instruction dispensée par les missionnaires fût totalement insuffisante et ne préparât pas, comme l’écrira quelques années plus tard J. Van Hove, «l’indigène de la masse à servir utilement dans son milieu ses intérêts et ceux de la communauté et ainsi jouer son rôle, modeste mais réel, dans l’évolution de la société Kongolaise». 

Pour le ministre A. Buisseret, l’enseignement des Noirs, garçons et filles, devait être inspiré par la Charte des Droits de l’Homme et devait être fondé sur le respect des valeurs humaines. 
La société congolaise était, selon lui, composée d’Africains et d’Européens égaux en droits. Il voulait pour les Kongolais des écoles «où la personnalité des enfants était assurée de s’épanouir librement dans la tolérance». Son programme débute dès octobre 1954

Le 31 décembre, 4500 élèves fréquentaient les groupes scolaires officiels; en 1956, ils étaient plus de 30 000. Par groupe scolaire, il faut comprendre des écoles primaires et des écoles formant des moniteurs; ces groupes étaient installés dans les chefs-lieux des provinces. 

Afin de répondre à la demande des populations Kongolaises, il créa des établissements d’enseignement moyen secondaire ainsi que des écoles professionnelles et d’apprentissage. Le travail de scolarisation, longtemps retardé, rencontrait cependant de nombreux obstacles liés aux disparités régionales, à la présence plus ou moins dense d’une population européenne, à la persistance dans les milieux ruraux de traditions coutumières, notamment en ce qui concerne les filles. Il fallait également prévoir la formation des maîtres et des éducateurs dont le nombre était insuffisant. 

Enfin, il fallait compter sur les obstacles posés par l’évêché, notamment Mgr de Hemptinne, évêque du Katanga, et une administration coloniale favorable aux missions. 
Une question tenait particulièrement à cœur à A. Buisseret, celle, comme il la nommait, de la «déségrégation scolaire». 

En effet, dès les origines, s’étaient mis en place deux réseaux parallèles d’enseignement: celui qui était destiné aux Européens et l’enseignement pour Noirs. Auguste Buisseret, en tant qu’humaniste, souhaitait le regroupement de toutes les écoles officielles en un seul réseau. 
La question de l’admission des Noirs dans les établissements réservés aux Blancs avait déjà été posée en 1948 et le principe de leur admission avait été agréé deux années plus tard. 
Les élèves noirs étaient admis, sur la base du degré d’évolution des parents, ceux qui étaient appelés les «congolais immatriculés». 


Dans chaque province, une commission devait se prononcer sur les candidats à suivre l’enseignement dans les établissements pour Européens, en s’entourant de garanties d’ordre social, médical et pédagogique. Mais il y avait peu d’élus: ainsi 796 congolais avaient été admis en 1956 dans les écoles pour Européens. 

En attendant cette «déségrégation», qui ne passait pas bien la rampe, le ministre Buisseret avait créé dans les grandes villes, des athénées pour les autochtones dont les structures et les programmes d’enseignement étaient les mêmes que dans les établissements pour Européens. 

Enfin, c’est à lui également qu’on devait la création, à Élisabethville, d’un enseignement supérieur organisé par l’État où les étudiants noirs étaient acceptés. 

Entre 1954 et 1958, Auguste Buisseret a donc mis en place les fondements d’un enseignement officiel neutre à l’intention de la population Kongolaise. L’optimisme dont il faisait preuve en 1957, dans un discours prononcé lors d’une assemblée générale de la Ligue, ne laissait en aucune façon prévoir que l’indépendance était annoncée et que, sans doute, la préparation des élites Kongolaises était fort… trop tardive. 

À plus d’un demi-siècle de distance, on ne peut que le regretter !

[VIDEO]


About FODABI

This is a short description in the author block about the author. You edit it by entering text in the "Biographical Info" field in the user admin panel.

0 $type={blogger} :

Enregistrer un commentaire