« L’Etat Indépendant du Congo avait pu s’imposer au Bushi mais cela après une période de résistance farouche car résister était dans les gènes des anciens. Ce courage et cette ténacité est confirmé par Me Godart, ancien chargé de cours à l`ULB, qui déclare lors du colloque sur la colonisation et décolonisation tenu du 17 au 18 novembre 1967 à Bruxelles, que dans la région de Ngweshe « avec ses montagnes érodées et les forêts de bambous où des guerriers impressionnants avaient arrêté les grands Tutsis du Rwanda ».
Ce professeur a visité Bukavu et le Bushi dans les années 1950 et 60.
La résistance précoloniale a continué avec l`arrivée des militaires de l’EIC et persisté avec la spoliation des terres par les colons. La terre a de la valeur chez les Bashi. Voilà pourquoi cette confiscation va avoir une réaction qui n’est autre que l’obstination du Mwami à recouvrer ses terres ainsi que la révolte de la secte Binji-binji dans les années 1930 menée par Ngwasi Nyangaza.
Lutter contre le colonisateur est donc un devoir. En parlant des sectes, notons que dans les colonies britanniques, les populations autochtones résistent au colonisateur car ils croient en Nyabindi. Rwampigi (1980) dit que les colons anglais trouvent en Nyabindi un anti-peuple, un oppresseur et un esclavagiste alors que la colonisation est pour la libération. Cette assertion est aussi celle des colons belges pour qui la « secte Binji-binji »`pousse le peuple à garder son indépendance et à rester loin de l’influence du blanc, inconnu et toujours en armes. Si la colonisation est possible c`est toujours grâce à une action militaire et la résistance, un droit des peuples.
Militarisation le long du lac et de la Ruzizi
Dans nos précédents papiers nous avons démontré comment l’Etat Indépendant du Congo a réprimé la révolte des Batetela. La poursuite qui commence en 1895 à Luluabourg juste après l`assassinat de Ngongo Lutete est stoppée à Kaboge, non loin d’Uvira, en 1899. L’échec des soldats révoltés va les pousser vers un dernier retranchement au poste militaire de Shangi (créé en 1896) et au poste de Nyamasheke (créé en 1897).
Ces deux postes sont localisés aujourd’hui au Rwanda dans une partie qui jadis était Congolaise. Les agents coloniaux Belges ont abandonné les postes face à l’avancée des révoltés. Cet abandon va conduire les agents et militaires de l’Afrique orientale Allemande à violer les frontières de l’Etat Indépendant du Congo et à planter le drapeau Allemand à Cyangugu (Congolais jusque en 1910).
Cette situation va ouvrir la voie d`abord à une contestation tel que nous l’avons déjà spécifié mais aussi à des négociations entre la Belgique et l’Allemagne. Une commission germano-congolaise va voir le jour dans le but d’analyser le problème dans la triangulation Ruzizi Kivu. Les travaux de la première phase commencent en 1900 pour s’achever en 1906. La deuxième phase commence en 1907 et finit en 1908. La troisième phase commence en 1911 par les travaux sur l’axe Kivu Ufumbiro. Entre temps, il y a une forte militarisation de la zone qui deviendra Bukavu et qui fâche Mwami Kabare Rutaganda car lui et ses notables doivent se soumettre.
La Conquête
Alors que les Allemands contrôlent le Rwanda et que les Belges protègent les frontières de l’EIC, le mwami Kabare et ses notables résistent farouchement. Ils vont tout faire pour garder leurs terres. Malheureusement, l’unité est brisée par des désaccords. Les agents de l’EIC réussissent à diviser le groupe.
Mwami Kabare est alors obligé d’entrer en clandestinité mais il va se ressaisir et revenir après un temps vers le représentant du roi des Belges et signer un pacte de sang avec le Cdt Frederik Olsen, celui-là même qui avait créé le poste de Nyalukemba sur ordre de Costermans. Malgré cette paix de brave, Mwami Kabare continue sa bataille. Il est finalement déporté. Cette pratique de déportation des chefs locaux commence dans les colonies britanniques à partir de 1912 (Rutanga, 2011). C’est une pratique qui sera aussi courante au Congo Belge.
Lire aussi: RDC-Rwanda: première crise de frontière entre l’EIC et l’Allemagne en 1899 (Tribune)
Le poste militaire de Nyalukemba est créé en juillet 1900 et à partir de 1902, les autorités militaires Belges exigent une soumission complète des chefs et sous- chefs Bashi. Ainsi vont se soumettre les notables Cibambiro, Nya Musenge (fils de Nya Lukemba) et Nya Lukemba Lui-même. D`autres notables vont aussi se soumettre dont Kadjangu, Saboni, Hongo, Kakira, Rubenga, Masonga, Kabi, Lusuro, Rugambi, Nya Bamba, Byambarwa, Kasingura, Lusambu, Lukanda, Lusima, Kagajira et Katana. Cette soumission implique une présence régulière à l’appel au poste de Nyalukemba car le contrôle ne devrait rester effectif.
Le Mwami insistant
Selon Corbisier (1933) ce n’est qu’en 1903 que Mwami Kabare Rutagana sera vu au poste de Nyalukemba mais il ne restera pas longtemps car il entrera en dissidence accompagné par le notable Rwabika. Sa soumission effective est possible en 1904 mais il est directement destitué et son royaume divisé en 3 parties et cédé à ses notables. Le sud du royaume sera cédé à Kilawa ; le centre à Nyalukemba et la partie nord fut donné à Magindanoke. Corbisier (1933) soutient que Katana-Karibanya était chef d’une entité à part qui est Katana.
Le Revérend Père Colle, enterré à Katana, dit que malgré sa destitution, mwami Kabare Rutagana continue de réclamer ses terres et terroriser la population. Ces paroles qui sont confortées par Corbusier (1933) qui maintient que ce n’est qu’en 1908 qu’il se soumit de nouveau devant le chef de zone Dobet avec interdiction formelle de s’approcher de Kalulu mais il revendiquait toujours ses terres déjà partagée depuis 1904.
Il put récupérer une partie de terre du côté de Katana vers Rushombo et ne put récupérer Nyalukemba et ses immixtions ne cessa de se faire entendre. Ce n’est qu’avec le pacte de sang avec le Cdt Olsen et le chef de secteur Ghewi qu’il put finalement se calmer et commença à se présenter au poste de Nyalukemba.
En 1909 le bruit circula que les Belges seraient chassés par « d’autres blancs » plus puissants. Cela permit à Kabare de faire des nouvelles alliances, lui, qui gardait encore un partisan Cibambiro. Le but était de pousser la population à ne pas reconnaitre le pouvoir et l’autorité de Nyalukemba.
En 1910 Kabare refuse de nouveau de se présenter au poste de Nyalukemba et a le soutien du chef Kilawa, son frère. Il demande de nouveau ses terres. Mwami Kabare Rutagana restera imperturbable sur la question de ses terres. En 1912 et en 1914, il reste sur sa décision et à ce moment Nyalukemba qui était, comme d’autres chefs, insouciant du travail à faire, donné par « le blanc », rejoindra Kabare.
A chaque fois que mwami se sent lésé par le traitement des agents de l’EIC il échappe au contrôle de l’administration. Ce n`est qu’en 1916 que Mwami Kabare Rutaganda se soumet la toute dernière fois. Cette soumission est effective au camp Kilawa.
Selon les archives, c’est l’agent territorial Seaux qui l’a accueilli et l’a investi de nouveau mwami avec ses pleins pouvoirs. Cette reconnaissance est nécessaire car il permet au mwami de recouvrer toute son autorité coutumière.
Un fait à souligner est que, malgré l’ivresse qui lui est attribué, toutes les difficultés encouru n’ont jamais affecté le pouvoir qu’il a sur son peuple. La même année 1916, un ordre est donné par le commissaire de district pour la reconstitution du territoire de Kabare. La chefferie peut de nouveau se réorganiser. Cette victoire sera de courte durée pour le mwami car sa majesté Kabare Rutaganda meurt en 1918. Il est directement remplacé par son fils Rugema ou Rugenandizi âgée de 5 ans. Ainsi donc par l’organisation du 1er mai 1920, les limites de la chefferie de Kabare restent Mwendula, Katana et Karibanya.
Il faut signaler en passant que chef Nya Lukemba n`a pas aussi goûté à la reconstitution de la chefferie de Kabare car il meurt en 1917. Nyalukemba insistaient pour le recouvrement de sa partie et avait le soutien du Mwami qui aussi tenait à une reconstitution totale de la chefferie. Malheureusement, la ville de Bukavu est dans ses débuts et toute la zone est déjà militarisée dans le but de protéger les limites territoriales. A la mort de Nya Lukemba son fils Nya Musenge lui succède.
Lire aussi:
RDC-Rwanda: deuxième crise des frontières 1914-1918 avec la perte de la neutralité de l’EIC (Tribune)
La militarisation des côtes entières du lac Kivu et de la Ruzizi, la confiscation des terres aux populations autochtones et le travail forcé a permis aux belges d`imposer la paix : Pax Belgica.
C’était sans compter sur la résistance du Mwami, de ses notables et de sa population.
Ainsi donc se transmet la résistance de génération à génération. Une seule question toutefois :
Pouvons-nous mettre en relation la résistance de la Société civile des années 1990-2001 à cet esprit ancien de résistance ?
Cette interrogation mérite des approfondissements car malgré les désaccords et l’infiltration des politiciens, la Société civile du Sud-Kivu a joué et jouera un rôle majeur en RD Congo.
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